Activités(s) de création
Il n’est pas forcément indispensable pour apprécier une œuvre de connaître son créateur, pas vraiment utile pour être sensible à la céramique de Jérôme Hirson de croiser le potier.
Les pièces façonnées parlent d’elles-mêmes à l’unisson et l’on est d’emblée frappé par un certain nombre de parti-pris flagrants déclinés en forme de manifeste : simplicité et rusticité des formes, couleurs du temps et des saisons, absence d’artifices décoratifs, matières tour à tour douces sous le doigt ou rugueuses dans l’expressivité.
Avoir en main un bol de Jérôme Hirson, c’est suspendre le temps. L’objet lui-même ne fait référence à aucune mode, et l’on pourrait se demander s’il est sorti récemment de l’atelier ou bien s’il a nous été transmis par nos ascendants, de génération en génération, tapi dans les vieux meubles de famille. Non, pas ces plats d’apparat pour jours de fête, plutôt cette vaisselle modeste et populaire dont on ne sait très bien à quel siècle la rattacher. Nos doigts se referment naturellement sur l’émail translucide, laissant percevoir quelques grains de chamotte qui évitent l’ennui d’une surface lisse.
En mettant en avant dans sa vaisselle et ses utilitaires cette « beauté de l’usage* », Jérôme Hirson s’inscrit dans la mouvance wabi-sabi, il est légitimement reconnu et apprécié de ses disciples, qui comme lui vantent les vertus d’un travail humble et patient.
Mais à y bien regarder, sous cette unité esthétique se cache sans doute une diversité d’intentions.
C’est un coup de cœur pour une théière réalisée par Dauphine Scalbert qui a décidé de l’orientation de Jérôme vers la céramique, quand il a quitté le Nord et son travail en usine. Cette drastique reconversion commence par un apprentissage avec Dauphine devenue son maître, puis, rapidement, il installe son propre atelier dans le Berry, à proximité de La Borne, sur une terre de potiers.
Et ce choix délibéré de vie apparaît comme le juste et systématique contrepied de la période qui a précédé.
La solitude de l’atelier remplace la foule des collègues et le syndicat.
La main au contact direct de l’argile dispense des outils et de l’automatisme.
Une libre créativité s’exprime sans la tutelle des ordres transmis.
Un rythme de travail naturel et souple succède aux cadences et à la productivité.
Pourtant ces volumes sombres et granuleux qu’il se met à créer un peu plus tard portent des noms qui ne trompent pas : sheds (toits d’usine), courée (habitat ouvrier dans le Nord), ballots (cheminée d’usine en patois du Nord), gamelle (repas ouvrier). Ils s’affichent comme autant d’hommages criants à cette terre du nord, laborieuse et industrieuse et à sa population souvent mise à l’épreuve. Devenu aussi sculpteur, le potier traduit dans ces fragments de paysages de briques salies par les fumées un attachement profond et peut-être paradoxal à une région natale pourtant délaissée.
A cet univers brut, voire brutal, les « morceaux d’chuc » (de sucre), blocs irréguliers à la sensuelle blancheur, apportent une note de douceur, teintée d’enfance.
« J’aime évoquer l’artisan, un mot qui commence comme artiste et qui finit comme paysan » dit François Mathey, citant un animateur de la télévision**.
En installant son atelier en Aveyron et en faisant le choix de vivre loin des centres urbains pour y pratiquer la céramique, l’ouvrier du Nord a-t-il découvert puis exprimé une nature profonde qui sommeillait en lui ? Celle d’un homme « de la terre », qui la façonne, vit dessus, avec elle et à son rythme. Les jarres qu’il crée sont, dans leur diversité de formes et de couleurs, autant d’incarnations de cette nouvelle ruralité. Rustiques, massives, archaïques et comme patinées par un usage séculaire, on les imagine sortant des celliers, caves, greniers et autres chais, destinées à contenir et préserver les récoltes, les denrées rares, les trésors domestiques. Elles trouvent, dans les dépendances de la ferme aveyronnaise où Jérôme Hirson vit maintenant, où il les dispose élégamment et les photographie, leur place naturelle.
Alors, paysan, artiste ou artisan peu importe. L’ouvrier est parvenu à se libérer des chaînes d’un travail industriel peu épanouissant pour trouver une harmonie entre ce qu’il est, ce qu’il fait et l’endroit où il vit : c’est un homme tranquille qui porte un regard affectueux sur ses origines et offre une œuvre qui nous touche, en forme de trajectoire de vie.
Olivier Muzellec
Roubaix, France.
*pour reprendre l’expression de Bernard Leach
** in ARTISTE/ARTISAN ? Musée des Arts Décoratifs, 1977